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Babel

poèmes d’une mythologie individuelle
 

Début


Tout a commencé ainsi
comme une esquisse
symptôme après symptôme
coeur arrêté attendant son rythme
souffle et battement
étendues courbes engloutissant les masses mortes
il faut attendre
patience et attention
tremblement fébrile
pavé de chair niché au coeur des étoiles.
Quand l’explosion eut lieu
nous avions tous les yeux clos.

Un nom

 

Nous étions réunis

calmes, dans l’obscurité

reposant nos yeux.

Nous chuchotions des projets

secrets d’humains

au front du ciel

l’argile rouge teintait nos bras.

Nous voulions lancer des ponts

aux parois des ravins.

Nous voulions des toits

des murailles

des tours.

Nous voulions nous bâtir un nom.

Le guetteur


Il s’agit de ne pas dormir
ni même de s’assoupir un instant.
Les yeux rivés au compas des étoiles
il faut attendre.
Chaque scintillement est différent
chaque éclat inattendu
chaque pulsation secrète
doit être soigneusement consigné
sur les livres des observations.
Chaque livre porte un numéro
Chaque guetteur a un chiffre


Je suis le dernier guetteur et je n’ai jamais
écrit sur le Livre Premier.

Désert


Le rendez-vous était fixé à quinze heures.
En un lieu anonyme marqué d’une croix sur une carte jaunie.
Le voyage fut pénible, accompagné d’incidents
qui accélèrent le pouls.


En sortant de la ville sur les bords de la piste,
j’abandonnai les silhouettes familières,
les regards résignés. Les poussières légères.


Le voyage, trajectoire rectiligne,
point de fuite mobile sans sillage, dura peu de temps.


Elle était là, debout, immobile,
tâche d’ombre au milieu des ruines blanches.
La rencontre eut lieu dans le plus grand silence.
Quand l’échange se réalisa, elle disparut, légère,
aérienne, sans sillage.


Je repartis vers la ville emportant avec moi
un nouveau masque.

La pomme


Je dormais et mon rêve était froid
Autour de ma jambe nue s’enroulait un reptile
Liane silencieuse, écaille contre peau.
Je ne dormais pas.
Le drap blanc de coton ondulait,
courbe sinueuse, lente cicatrice.
Je soulevai le drap comme une pierre plate.
Le serpent était là, semblable à mes songes.
Pupille de lac sombre, bâton d’ébène,
tatouage monstrueux, parfaitement immobile.
J’attends la morsure, brûlure de fer rouge
arc de venin.
Mille poisons me reviennent en mémoire
et la question soudain.
Sur la table de chevet, un maigre reflet de jour
éclairait une pomme, petit fruit en attente d’insomnies.
Délicatement, je la porte à ma bouche
et la croque bruyamment.


Le serpent se redressa
coulant le long des draps abandonna la chambre
par une fente de plinthe.

La porte


Aux portes de la ville se trouvait la foule
débauche frémissante de vies superflues
ventres, poumons insatiables, pélerins fatigués
ongles brisés aux pierres des murs
joues écrasées contre les portes de cuivres.
J’étais là depuis quarante jours
relégué aux confins des enceintes
porteur d’un message aux mots effacés
par l’excès de sueur, résigné, immobile.


J’attendais, silencieux, que s’ouvre la porte
désireux d’achever au plus tôt ma mission.

Vol


Au-dessus des nuages
s’étend le monde
plate-forme inquiétante
dans le silence furtif des ailes
artificielles.
Mes compagnons de passage
rencontre incongrue
au bec aiguisé
ignorent sans encombre l’intrus.
Comme des flèches souples
tissant le bleu
de leur fil invisible
ils construisent la trame
de l’étoffe légère.
La chute fut brève
et le bruit étouffé
par l’écume de la mer.

Le fardeau


Mes épaules se sont creusées pour servir
de berceau à la pierre.
Elle voyage avec moi
connaissant mes pensées.
Tout remords est inutile
le chemin mille fois parcouru.
La pierre mille fois déposée
mille fois ressurgit.
Le soleil, le ciel reposent sur mon dos.
Mes pieds ont tracé des sillons
plus profonds d’heure en heure.
Je respire l’asphalte
brûlant de plomb.
Je construis, insatiable,
des échelles de pierre

Mare


La mer nous obsédait, inondait la pièce
où nous dormions.
Déversant des tonnes d’eau à travers nos songes.
Nous imaginions avec cette faculté extraordinaire
d’inventer ce que nous n’avions jamais vu.
Quelques nouveaux venus, nous racontaient,
avares, des histoires de la mer,
alimentant nos espoirs d’écume et de sel.
Nous connaissons bien le sel de la terre.
Il nous tenait courbés et écorchait nos mains.
Celui de la mer nous paraissait
douceur apaisante.
La terre est morte.
Elle tient nos corps, comme poussière en devenir.
La mer est vivante.
Elle affranchit la douleur, elle fait palpiter les morts.
Nous travaillons toujours
songeant à la vague
porteuse de lumière.

La tour


Mon compagnon portait un nom étrange
et parlait peu, mais ses paroles
étaient compréhensibles ainsi que celles
de tous les autres.
Nous travaillons sans cesse, soudés à la terre,
cherchant entre les pierres les raisons
de continuer.
Débusquant des insectes plus hideux que nous,
qui fuyait éperdus, croyant échapper
à notre ardeur cannibale.
Une journée de travail prenait fin avec
l’apparition des étoiles, commençait
au plus profond du sommeil. Exténués
par le manque d’espoir, nous construisons
une tour aveugle, spirale sans fin,
qui devait nous mener au-delà des nuages.
Ceux-ci semblaient impossible à atteindre.
Chaque nouvel étage nous ramenait vers cette
terre que nous aspirions à quitter.


Nos paroles d’heure en heure perdaient
du sens et bientôt je fus le seul à me comprendre
alors nous fûmes enfermés dans une pièce déserte
contemplant solitaires une lézarde naissante.

 

 

 

 

La lézarde s’agrandit laissant entrer la lumière
fracture immense
par laquelle nous nous sommes enfuis.

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