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Habiter les Pléiades

poèmes des amours géographiques

Train d’Orient


C’est sans doute à la gare de Bellova
que je pense avoir perdu mon carnet de croquis.
Il n’avait pas beaucoup de valeur en soi,
j’aimais sa couverture en carton toilé
mais surtout il contenait un portrait de A.


Une esquisse d’esquisse, presque rien,
juste quelques traits,
un pétale de crayon tombé
sur une page blanche.


J’ai toujours détesté les photographies.

Aimante amante


L’étrange attraction des atomes
dans le monde silencieux des amants
nous perturbe, nous trouble
et cela tant
que l’on en oublie les arômes
dans les chambres magnétiques
traversées par les vents solaires
exaltant or et poussière
aux coins des ombres nostalgiques


La triste répulsion des pôles opposés
nous éloigne
mais parfois en tournant
tu frôles mon épaule


La ronde incessante des particules
nous console d’une tendresse feinte
en me rapprochant de l’amante aimante

Prague


Souviens-toi
cette ville que nous avons rencontrée
où les ombres couraient
de pavés en corniches
fleurissant de leur nacre
les dômes des églises.
les tramways indolents
berçaient le sol à nos pieds.
Nous marchions sans crainte
au creux des ruelles où
s’embrassaient des fantômes
aux pieds des statues.
Nous sommes montés
près des flèches immobiles
pour caresser les éclats
des tuiles vertes.


Nous avons balancé
d’une berge à l’autre
gravant de nos pas
sur les pierres de l’hiver
la trajectoire
quasi parfaite
de notre histoire.

Madrid


c’est une place madrilène
tu m’accompagnes frémissante
l’air a la douceur de la laine
ton regard celle de l’amante


nous marchons ensemble
peu soucieux de se perdre
heureux que l’on s’assemble
pareils aux sommes de l’algèbre


on s’aime au delà des miroirs
on s’aime le long des ruelles
des murs frottés par les ailes


on s’aime dans la course du soir
à l’heure où la nuit recouvre le jour
cette heure est si proche mon amour

Paris


ce n’est pas grand chose, Paris
une chambre d’hôtel
des mille et une nuits,
aux fenêtres ouvertes
quelques voiles de Shéhérazade,
un tapis volant en panne
étendu sur le sol.


Des feux d’artifices éteints
imprimés sur la tapisserie,
des odeurs d’épices
mélangées aux odeurs de la rue


et toi tu remplis l’espace
de ta danse pour le roi perse.
Tu ondules le temps
avec ton chant de noces,
tu captes les sommeils
de millions d’endormis
dans la ville minuscule
qui respire
dans cette chambre.

Athènes


nous étions
assis sur un banc
du jardin botanique
l’air du soir
nous enveloppait
dans son drap léger
le sol un tapis brûlant
de poussière solaire


l’Acropole disputait au Lycabette
le port de la couronne
Nous songions à la Macédoine
sans savoir pourquoi
Alexandre était le dernier de nos soucis


Nous pensions à nous prendre
l’un et l’autre
dans nos bras
dans nos draps
éperdus de bleu et de sel
dans ce pays de naufrage.

Bruxelles


je t’ai égarée
au Palais des glaces des vitrines
des faubourgs poudreux
carrousel des maléfices
où un John Flanders
récoltait les billets
ivre de tourner
avec les chevaux de bois


je t’ai perdue
dans la foule d’un carnaval
entre les masques et les morts
où un James Ensor
vendait des harengs tièdes
ivre d’étancher
sa soif aux gourdes des pêcheurs


je t’ai retrouvée
sur la Grand-Place
à la Maison Le Renard
devant une fenêtre de dentelles
Je t’aurais préférée à l’Arbre d’or
tant je désirais me désaltérer
de toi

Londres


tam tam tam
tam tam tam


le long de la Tamise
sur les berges
des crocodiles en perruque
dansent aux rythmes
des sonnailles Zoulous


les motifs de ta chemise
évoquent les rites Bantous
un Shakespeare en turban
passe sur le pont
et tu me parles de Djakarta


dans le brouillard
dont les fumées gardent
le souvenir du grand incendie
la ville aux quarante mille dialectes
nous accepte sans remords

Rome


C’est une pâtisserie douce
sur fond de café amer et noir
comme le coeur de Caligula.


Tout près le Tibre est un berceau
où passe un Rémus noyé,
flottaison latine,
rêvant à un lointain Orénoque.


Aux pieds des sept collines,
je t’ai fait sept promesses.


À l’ombre du mur
aux fleurs d’oranger,
deux mille années, mois et jours,
heures, minutes
et cette ultime seconde,
ont traversé le forum.


Les marbres ont conservé les vestiges
du pain, du vin
et des mots
prononcés par des amants
de la ville et du monde.

Poussière

la fenêtre aux rideaux tirés laisse passer une lame de jour
partageant la chambre en deux
moi dans l’ombre, toi dans la lumière

le parquet de bois semblable au pont d’un bateau balance sous la houle
les grands draps de lin roulés forment des reliefs sur la plaine du lit
moi dans l’ombre, toi dans la lumière

situés aux points cardinaux d’une géographie
que les fines lignes bleues sous la minceur de ta peau, cartographient
toi dans mon ombre, moi dans ta lumière

tu fais de moi l’aiguille d’un cadran
qui compte toutes les heures contenues dans un grain de poussière.

tu es femme pêcheur
tu lances tes filets penchée sur les reflets du miroir
espérant remonter les poissons des abysses
toi à ma surface, moi dans ta profondeur,

tu es femme chasseresse
tu lances flèche sur flèche pour une acupuncture du cœur
qui éloigne la guérison.

 

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