top of page

Babel II

Archer


La flèche traça une trajectoire sublime
ligne de partage entre les deux quartiers du monde
la corde frappa le bois
et la légère vibration de l’air fit s’envoler une nuée de plumes
Attaché sur le sol l’archer pèse de tout son poids
il soutient la terre en un axe
la flèche atteint son but
l’oeil de la cible crève sous le trait
éparpillant les brins de paille
l’archer encoche sa seconde et dernière flèche
désigne le ciel de sa pointe


l’arc ploie et l’espace se tend
le bois ailé monte à la verticale des nuages

Ciel


Parcelle d’azur
piquée aux quatre coins,
le ciel étire une trame de lin.


L’infime pesanteur de son immense espace
appuie sur nos épaules
enserrant la clef de voûte
de l’architecture de nos corps.


Nous avons été,
nous sommes et nous serons
des milliards qui retournant nos mains,
soulevons dans nos paumes
des colonnes de ciel.

Nuages

C’était un jour noir où le vent passait
sur le sol balayant les pierres
des poussières étranges et bleues
j’ai levé les yeux vers les nuages
blancs et noirs ou hachurés
parmi eux un oiseau peut être
un avion ou tout autre objet
volant au-dessus des eaux
des multiples ruisseaux
qui se précipitent aux creux
des vallons vers les mers


j’ai pensé à un père disparu
en automne qui savait
lire les nuages et entendre
le discours du vent et de la pluie
il racontait souvent des histoires
apprises disait-il en allant
dans les champs ses paroles
sont restées dans les fentes
des pierres dans les plis des labours
en fermant les yeux j’entends
leurs murmures chantants
elles glissent dans mon oreille
une musique de nostalgie
qui rend mes pas plus légers.
 

Labyrinthe


c’est un rêve lent
qui glisse
un radeau de chêne liège
une écorce dansante sur les flots noirs
des ombres irradiées d’hydrogène


Architectes au pied des falaises
nous voyageons en longeant les parois
déroulant plein d’espoir un fil
aux promesses de retour

Ouragan


Les branches effilochent
en rubans de parure
les nuages de plomb
suspendus au ras du sol
le vent parcourt
les chemins et courbe l’échine
des chevaux captifs.
Sous la pierre
sous l’écorce, sous la mousse
les éclairs fouillent les ombres.


Nous espérons l’ouragan
et le vent et la pluie
pour faire déborder les ruisseaux,
pour laver les racines
et disperser mille fragments
aux alentours du monde.

Ruse


Nous sommes dans le ventre de l’animal.
Dans la nuit,
il nous faudra éclabousser les ombres de sang.
Ce n’est pas tailler dans les chairs qui m’effraie,
ce sont les yeux brillants
des combattants qui m’entourent.
Leur souffle court rythme notre lente attente
Soldats de pierre au creux d’un tronc de bois.
Nous sommes les entrailles vivantes du cheval assagi.
La lune le couronne.
C’est au plus profond des lits
que nous trancherons les gorges.
Nous irons par les ruelles luisantes,
incendie nocturne,
répandant sur le sol les richesses futiles.
Le temps s’étire et les yeux
des guerriers ternissent,
les cheveux gris attrapent les rayons de lumière.
Nous sommes devenus vieux.


Nous attendons toujours dans le ventre de l’animal,
dans la nuit.

Temple


Chaque pluie use la pierre
le soleil porteur de poussière
assèche les argiles
les racines déplacent les pavés de grès
un arbre de silice a poussé au milieu du temple


Toute pluie nouvelle érafle les murs
le soleil porteur de lumière
aveugle le granite
les racines soulèvent les parements de briques
les lianes de silice ont étouffé les autels


Toute pluie chaude écrase les tours
le soleil porteur de mondes
déplace les ombres
les herbes troublent les mosaïques
les fleurs de silice ont envahi les terrasses


Toute pluie froide inonde les douves
le soleil porteur de drames
torture les façades
les mousses adoucissent les balustrades
les feuilles de silice ont englouti les chaussées.

Mâts
je suis rincé
accroché sur la toile
tissée par les cordages
qui dégorgent de sel
le vent gonfle mes pantalons
et remonte le long de mon échine
la manoeuvre m’use
jadis, j’ai lu un long poème
qui parle d’un bateau dansant sur les flots
léger comme un bouchon


je m’accroche au mât de tous mes bras
comme à une mère
pensant à chaque instant lâcher prise

Nord


Le monde est blanc
comme une feuille de papier
sur laquelle je devine un sourire lapon


Le monde est noir
comme une feuille de papier
sur laquelle s’est couchée l’encre de la Chine


Le monde est une pierre plate
recouverte de lait
que viennent laper les ombres sombres


Toutes les boussoles rêvent du Japon

Sang


J’ai vu les acteurs de chair et d’eau
humanité humide
qui règle ses comptes
avec la douleur
tremblant d’une fièvre de soufre
versant des torrents d’hémoglobine
dans les caniveaux
charriant du vinaigre
cupules remplies de sang
couleur garance


et tous me ressemblaient
si bien que je les appelai par mon nom
mais nul ne répondit

Sud


C’est peut être une ville,
ou bien l’ai-je rêvée ?


Il y fait chaud,
la lumière aveuglante,
les ombres sont irradiées d’hydrogène
les pierres sont blanches, les fenêtres noires,
les terrasses sur les toits sont des fours.


C’est midi.
On épouse la moindre parcelle d’ombre.


J’étais arrivé dans la nuit
elle sentait le fruit mûr.
Je voyais de la chambre
le jardin intérieur et la cour.
Les fauteuils de paille
aux sièges éventrés
semblaient m’inviter
sous la fraîcheur des feuilles d’un figuier.
Il m’aurait fallu le courage.

Mère


C’est dans l’angle que se tient la mère
petite elle projette
son ombre immense
sur la mosaïque des enfants attablés
elle fixe l’aîné les possédant tous
son sourire les berce et les épouvante
ils attendent silencieux
elle les respire à distance
ils sentent le sang chaud
elle les nourrit et nourrit son corps
à chaque bouchée qu’ils dévorent


d’une femme à la mère
c’est une porte qui s’ouvre

Père


Son regard nous suit
berceau concave
de nos peurs nocturnes
Il se penche vers nous
sans nous tendre les mains
et nous laisse solitaires
regarder les corps enlacés.
Nous portons son nom en besace
heurtant notre maigre bassin à chaque pas


Le père est une statue,
une idole, un veau d’or.
Nous dansons tout autour
projetant des ombres immenses
sous la lumière
des flammes du bûcher.

Soeur


mon reflet assidu à la patience inaltérable
vigilante gardienne de l’aurore au coucher
soeur du crépuscule, demi-soeur incertaine


lente repasseuse des rêves
penchée sur nous de quelques années de plus
balayeuse nonchalante des poussières
tombant de nos cheveux
soeur à la lettre près - coeur
et battement de paupières.

Frère


On a bâti des murets
le long de sentiers oubliés
pour empêcher les bêtes de franchir les limites
des enclos des terrains familiaux.
Le soir silencieux dans l’obscurité
nous attendons les coups frappés à la porte.


Mon frère est parti,
éreinté par la charge des cailloux trop lourds
les murs de pierres sèches n’ont pas évité la fuite.

Mon train est immobile


au milieu du tunnel
et ma joue si propice
à frémir au vent frais
reste inerte
mes doigts posé sur ma poitrine
sont le sismographe linéaire
d’un cœur silencieux

mon souffle prisonnier des poumons
en fait des montgolfières
qui glissent  lentement au dessus des nuages

mes yeux grands ouverts
reflètent le monde où je ne suis pas

je suis mort

je suis pierre, je suis caillou
je suis ruisseau, je suis rivière
je suis pays sans frontière
je suis brin, je suis branche
je suis air, je suis eau
je suis pluie, avalanche
je suis murmure, je suis tonnerre
je suis mousse sous lichens
je suis terre.

 

bottom of page