Pablo

Il avait trouvé le morceau de fusain, posé tout au bord d’une petite table ronde, la seule de la pièce qu’il était capable d’atteindre en se dressant sur la pointe des pieds.

Le contact du marbre froid sur lui était très agréable.

Les battements rapides de son sang faisaient bourdonner ses oreilles. Il savait qu’il ne devait pas se trouver là, seul. On lui avait souvent répété qu’il y avait dans l’atelier de son père des choses dangereuses pour lui.

Les effluves d’huile rance qui envahissaient par moment ses narines, ne le gênait pas. Au contraire, il en retirait un plaisir presque physique et respirait chaque toile appuyée contre les murs pour trouver celle qui exhalait le plus cette odeur qui l’enivrait tel un parfum.

Quand il arriva devant la toile blanche posée sur le chevalet, il retint son souffle et ferma les yeux juste le temps de revoir la valse sautillante des pigeons dans la cour, devant la maison.

Quelques traits rapides suffirent pour faire apparaître la forme.

Il recula pour contempler son dessin mais reconnut le bruit des pas de son père. Il se précipita sous une table plongée dans la pénombre de l’atelier.

Il avait toujours aimé se cacher mais ce jour-là, les battements de son cœur ont failli le trahir. Il vit son père entrer, ouvrir les volets de bois. La lumière, longtemps retenue par le tamis des persiennes, se précipita dans la pièce, tombant en cascade sur la toile blanche posée sur le chevalet.

Le père s’approcha lentement et s’arrêta à quelques pas de l’esquisse. L’enfant retenait son souffle, anxieux d’être découvert mais satisfait d’être présent à ce moment précis. Il était particulièrement fier de son pigeon mais lui, son père, qu’en penserait-il ?

L’homme étendit le bras, se saisit d’un chiffon blanc posé sur une palette aux couleurs sèches et d’un geste nerveux et précis, effaça le dessin. Il ne resta plus sur la toile qu’une fragile trace grise, un petit nuage de charbon.

Ce fût ce jour-là que Pablo décida qu’il porterait uniquement le nom de sa mère.